Pourquoi les propos de l'abbé de la Morandais nient la réalité de la pédocriminalité
L’abbé Alain de la Morandais a affirmé sur LCI que certaines affaires de pédocriminalité ne relevaient pas du viol car "un enfant cherche spontanément de la tendresse".
Son intervention a laissé les téléspectateurs sans voix. Le 18 mars, l’abbé Alain de la Morandais, 83 ans, était invité sur le plateau de Audrey & Co sur la chaîne LCI. Interrogé sur les nombreux scandales de pédocriminalité au sein de l’Eglise catholique, et sur les solutions envisagées pour endiguer ce fléau, il a affirmé que ces actes n’étaient pas forcément des viols.
Voici le dialogue dans son intégralité :
Monia Kashmire, chroniqueuse : "La pédophilie est le cancer de l’Eglise catholique. Quelle est, selon vous, la solution ?"Alain de la Morandais : "On a toujours l’impression que c’est un viol, qu’il y a de la violence. Au départ, je ne crois pas. D’après les échos que j’ai eus des confidences, un enfant cherche spontanément la tendresse d’un homme ou d’une femme, et souvent, ce sont des gamins en frustration de tendresse."
Audrey Crespo-Mara, journaliste-présentatrice : "Mais la responsabilité, elle est chez l’adulte !"
Alain de la Morandais : "Bien entendu ! Mais le gamin, il va chercher… Vous avez tous observé qu’un gamin, il vient, il vous embrasse sur la bouche."
Pourquoi c’est problématique
En tenant ces propos, Alain de la Morandais insinue que les enfants violés ou agressés sexuellement par des adultes sont en partie responsables de ce qui leur arrive. Comme si, quelque part, ils avaient cherché le rapprochement physique en vue d’un contact sexuel.
Rappelons-le une nouvelle fois : un enfant n’est pas en mesure, psychiquement parlant, de consentir à un acte sexuel. "Il n’a pas du tout le développement psychoaffectif, émotionnel, le discernement ou la connaissance pour pouvoir décider d’un acte sexuel. Il ne connaît pas les conséquences qui peuvent être gravissimes pour lui. […] Surtout, il y a un impact traumatique connu des actes sexuels sur les enfants" expliquait la psychiatre et traumatologue Muriel Salmona sur le plateau du Magazine de la Santé en 2017.
Par ailleurs, pendant un viol, il est fréquent que la victime n’essaie pas de se défendre: c'est l’état de sidération. En réaction à une angoisse extrême liée à l’acte de violence, certains mécanismes de défense entrent en jeu. La victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique. La personne, ainsi paralysée, ne peut réagir. Très souvent, cet état de sidération est retourné contre la victime par l’agresseur ou le violeur pour la faire passer pour consentante.
La parole des enfants victimes reste minimisée
Comme nous l’expliquait en 2018 Mireille Cyr, professeure au département de psychologie de l'université de Montréal, plusieurs motivations peuvent pousser l'enfant à ne pas divulguer son agression ou son viol. Parmi elles : la peur de se faire gronder ou de décevoir, la méfiance envers les adultes, des menaces de la part de l'agresseur ou du violeur ou la non-compréhension de l’agression. Là encore, le silence des victimes est souvent utilisé contre elles. Si elles n’ont jamais parlé, c’est peut-être, dans l’esprit de certains, qu’elles n’ont pas vraiment souffert…
"En France, on n’a peut-être pas suffisamment intégré le fait que l’enfant est une victime qu’on doit protéger des adultes. J’ai une expérience de 40 ans : chaque fois qu’il y a débat, la grande inquiétude, c’est de condamner les hommes qui sont innocents. En d’autres termes, on se place du côté de l’agresseur, mais nullement du côté des victimes" constatait tristement Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, sur le plateau du Magazine de la Santé en 2018.
Depuis le tollé suscité par ses propos, l’abbé Alain de la Morandais s’est excusé. Dans un communiqué envoyé à l’AFP, il affirme "que son expression confuse (sic) ne reflète en rien ce qu’il pense". "Les agresseurs sont bien les adultes. Et les enfants des victimes innocentes", conclut-il.