Implants Essure : des premiers effets secondaires aux premières plaintes au pénal, retour sur toute l'affaire
Les implants de stérilisation définitive Essure ont été utilisés en France entre 2003 et septembre 2017. La déclaration d’effets secondaires parfois graves chez les femmes implantées a entraîné une méfiance et leur interdiction en Europe. Retour sur cette affaire dont les femmes ont été les premières victimes
Des effets signalés depuis 2012
En 2012, Marielle Klein, mère de cinq enfants, décide d'opter pour une méthode de contraception définitive. Sa gynécologue lui propose alors le dispositif Essure : il consiste en la pose d'un micro-implant (un "stent occlusif") en métal qui entraîne l'obstruction des trompes en provoquant une inflammation locale. L'intervention, qui dure une trentaine de minutes, ne nécessite ni hospitalisation, ni anesthésie, ni incision et n'occasionne aucune cicatrice.
Marielle est d'abord très satisfaite du résultat, mais au bout d'un an, des douleurs inexpliquées surviennent, un des côtés de son visage enfle et ses règles deviennent très abondantes. Mais aucun médecin ne semble comprendre les causes de ses symptômes. C'est sur Internet que Marielle découvre qu'elle n'est pas un cas isolé : aux Etats-Unis, en Espagne, aux Pays-Bas, des centaines de femmes qui ont eu recours à cette technique témoignent d'effets indésirables.
Ainsi, les signalements d'effets secondaires concernant ces implants Essure sont passés "de 42 en 2012, à 242 en 2015, puis 162 entre janvier et octobre 2016", selon l'Agence nationale de sécurité du médicament des produits de santé (ANSM). Du côté des scientifiques, une étude publiée mi-octobre 2015 dans le British Medical Journal, portant sur des femmes prises en charge dans l'État de New York, affirme que le risque de ré-opération serait dix fois supérieur suite à une procédure Essure comparé à la procédure classique de stérilisation définitive, la ligature des trompes. Marielle décide alors de créer un site Internet et de lancer une pétition adressée au ministère de la Santé. En 2016, cette pétition recueille déjà plus de 1.000 signatures.
Dans un point d'information publié le 9 mars 2016, l'ANSM affirme n'avoir "pas identifié d'élément remettant en cause le rapport bénéfice/risque de ce dispositif". Elle rappelle néanmoins que la pose de ce dispositif doit s'accompagner de certaines précautions, et d'une information complète des patientes sur les risques éventuels.
Deux femmes portent plainte en décembre 2016
Des "troubles hémorragiques", mais aussi des "troubles neurologiques avec paralysie temporaire ou permanente", des "douleurs du dos ou de la nuque", des "épisodes de surdité"... Autant d'effets imputés au dispositif Essure par deux clientes de l'avocat Charles Joseph-Oudin, parmi lesquelles Marielle Klein, fondatrice de l'association Resist (Réseau d’Entraide, Soutien, d’Informations sur la Stérilisation Tubaire). "Nous lançons deux procédures judiciaires d'indemnisation au civil afin de faire nommer des experts pour se prononcer sur les pathologies énoncées et le dispositif ", indique à l'AFP maître Joseph-Oudin le 9 décembre 2016.
L'association Resist sollicite "la suspension" du produit "dans l'intérêt des patientes et en application du principe de précaution", le temps que les études annoncées en France et à l'étranger soient réalisées et les résultats rendus publiques.
L'ANSM observe bien une hausse des signalements d'effets secondaires pour les implants Essure mais ne précise pas le nombre de perforations dues à un implant qui s'est déplacé dans le corps ou d'hystérectomie (ablation de l'utérus) liée à des complications. Toutefois, le Ministère de la santé précise que "l’ANSM ne dispose pas d’élément, à ce stade, permettant de remettre en cause le rapport bénéfice/risques" d'Essure, en dépit d'une "mise sous surveillance renforcée depuis deux ans".
Selon des investigations de l'ANSM réalisées courant 2015, "les complications signalées relevaient de la pratique de pose et non du dispositif Essure en lui-même", poursuit le ministère dans un communiqué.
Un comité d'experts formé en avril 2017
En avril 2017, l'ANSM crée un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST), évoquant de "nouvelles données disponibles". Ce comité, présidé par France Lert, spécialiste de santé publique et d'épidémiologie, est constitué de huit experts indépendants, dont trois gynécologues et un biologiste spécialiste de la toxicité des métaux. Il auditionne les associations de patientes et les médecins. Bayer n'est pas auditionné, mais les experts du comité disposent des données du fabricant.
Dans un bilan exposé le 20 avril 2017, l'ANSM déclare qu'entre 2003 et début février 2017, 1.087 femmes avaient été confrontées à un dysfonctionnement de l'implant (casse, non déploiement...) ou à la survenue d'effets indésirables (migration de l'implant, perforation d'organes, douleurs...). Parmi elles, 339 femmes ont subi des effets indésirables de type gynécologique (saignements et douleurs dans la région abdominale) ou d'une autre nature (avec une grande variété de symptômes déclarés : douleurs dans d'autres zones, forte fatigue, réaction allergique, dépression...).
L'association de victimes Resist réclame la mise en place d'un protocole de retrait du dispositif*, évoquant des cas de rupture de l'implant lors de l'opération pour le retirer.
Mais le 20 avril, le comité d'experts rend son avis et juge qu'il faut améliorer l'information des patientes sur l’implant Essure, mais qu'il n'est "pas nécessaire" de restreindre son utilisation.
*La Haute Autorité de Santé (HAS) le validera et le ministère de la Santé le diffusera en décembre 2018.
Lancement d'une action de groupe en juillet 2017
Suite à la conclusion du comité d'experts, le réseau Resist décide de lancer une action de groupe contre le laboratoire Bayer. Les patientes à l'origine de cette procédure collective dénoncent les risques liés à l'implant de contraception définitive Essure. Elles cherchent à faire reconnaître la responsabilité du laboratoire et à poser le cadre d'une indemnisation des victimes.
L'avocat des plaignantes, Maître Charles Joseph-Oudin, annonce le lancement de l'action pour septembre 2017 et regroupe 450 dossiers de femmes porteuses des implants Essure.
L'action de groupe est un recours collectif ou class action. Le but est pour un grand nombre de personnes de mener une action en justice et de poursuivre une personne ou une entreprise afin d'obtenir une indemnisation financière. Depuis 2016, la loi autorise à lancer des actions de groupe dans le domaine de la santé. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les victimes des implants Essure.
Suspension pour trois mois dans l'UE en août 2017
Le 3 août 2017, les dispositifs de stérilisation Essure perdent leur marquage "CE" et ne sont donc plus commercialisés en Europe pour une durée de trois mois, le temps de déterminer s’ils présentent ou non un problème de sécurité.
Une décision toutefois pas liée à "des problèmes de sécurité ou de qualité du produit" selon le fabricant Bayer. Le National Standards Authority of Ireland (NSAI), l'organisme de certification choisi par Bayer pour examiner son dossier, "a décidé de ne pas renouveler le certificat" de commercialisation d'Essure dans l'Union européenne "jusqu'à ce que toutes les questions en suspens trouvent une réponse", a expliqué le groupe pharmaceutique allemand.
L'ANSM préconise "par mesure de précaution de ne plus implanter" ce dispositif pour le moment et demande au laboratoire Bayer "de procéder au rappel des produits en stock" dans les établissements de santé français.
A ce stade, Bayer a déjà cessé la commercialisation d'Essure en Finlande, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et au Canada, en raison du déclin des ventes.
Fin de la commercialisation en Europe en septembre 2017
"Bayer a pris la décision de mettre fin à la commercialisation du dispositif médical de contraception définitive Essure dans tous les pays sauf aux Etats-Unis", indique le 18 septembre 2017 le groupe allemand dans un communiqué. "Cette décision est prise pour une raison commerciale", a ajouté le laboratoire. "Un environnement défavorable à sa prescription s'est installé depuis plusieurs mois entraînant une baisse continue de la demande en France", a reconnu Bayer, ajoutant que la suspension des ventes décidée dans l'UE avait "amplifié cette situation".
L'implant Essure reste commercialisé aux États-Unis, où la FDA (Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) a récemment évalué ce dispositif "et conclu au bénéfice-risque favorable de la méthode". Dans son communiqué, Bayer dit vouloir "rassurer les patientes, notamment celles porteuses d'Essure, ainsi que tous les professionnels de santé qui les accompagnent sur le fait que cette décision n'est pas liée à un problème de sécurité ou de qualité du produit".
Pour l'avocat des patientes, Me Joseph-Oudin, les victimes du dispositif ne peuvent toutefois "se satisfaire des motifs économiques invoqués". Il réclame donc des "éclaircissements" pour "les très nombreuses femmes […] encore porteuses du dispositif".
L'association Resist représentant les femmes s'estimant victimes d'effets indésirables des implants, a qualifié de "victoire" l'arrêt de la commercialisation hors Etats-Unis annoncée par Bayer mais souligné que cela ne mettait pas fin à son action judiciaire pour faire la lumière sur les éventuels "défauts de sécurité liés à l'utilisation de ces implants".
L'association Resist sollicite officiellement de la ministre de la Santé, la création d'un dispositif spécifique d'indemnisation centralisé à l'ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales), "seul capable de traiter l'importance et le volume du contentieux lié" aux implants Essure.
Plainte au pénal en avril 2019
Le 19 avril 2019, près de 70 patientes et leurs proches réunis dans le collectif Women Essure Victims ont déposé une plainte pénale contre X auprès du pôle santé du tribunal de grande instance de Marseille. Cette plainte vise des faits de "blessures involontaires, mise en danger et, possiblement, tromperie aggravée".
"On ne désigne personne à la vindicte, mais ces femmes qui ont été implantées et explantées, donc mutilées, cherchent des réponses", a déclaré l’avocat des plaignantes associé au collectif, Me Stephen Duval.
"Pourquoi ont-elles perdu pour certaines, leur utérus, leurs trompes et même leurs ovaires ?", s’est-il demandé. Parmi les plaignantes, certaines se sont en effet fait poser six implants – alors que deux sont nécessaires – quand d'autres ont été implantées malgré leur allergie au nickel. Aussi Me Duval réclame-t-il l'ouverture d'une enquête pénale pour que "tout soit observé". Il dénonce notamment une "défaillance de toute la chaîne de prise en charge" jusqu’à l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), pourtant alertée par des patientes.