TDAH : pourquoi la prescription de Ritaline® a-t-elle doublé en 10 ans ?
Le trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité, touche 3,5 à 5,6 % des enfants. En cas d'échec des mesures comportementales, il se traite par un médicament : la Ritaline®. Un traitement efficace, mais qui divise en France.
Le TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité) se manifeste par une agitation excessive, une impulsivité et des difficultés à maintenir son attention et sa concentration sur un long temps. Mais une prise en charge n'est nécessaire que si les symptômes perturbent la vie quotidienne de l'enfant et provoquent une souffrance depuis plus de six mois.
Dans un premier temps, la prise en charge comporte des mesures éducatives, psychologiques et sociales. Si ces mesures échouent, les médecins peuvent alors prescrire un médicament : la Ritaline® (aussi appelée méthylphénidate).
"Ce médicament agit sur le cortex frontal en avant du cerveau, une zone dédiée à la capacité à réfléchir avant d'agir, à planifier une action, à ne pas se laisser distraire parce qu'il y a autour", précise le Pr Revol, spécialiste du TDAH."
"Chez les enfants qui ont un TDAH, cette région du cerveau marche moins bien. Mais grâce au médicament, l'enfant parvient à ne pas se laisser distraire, à rester attentif et à se concentrer. Il est extrêmement efficace, à condition d'être donné à la bonne indication."
Les Français réticents à la prescription
En dépit de cette efficacité, la France reste en retard dans l'utilisation de ce médicament. Une réticence qui s'explique d'abord par la crainte des effets indésirables.
"Il en y a très peu", rassure le Pr Revol. "Un retentissement sur l’appétit est possible à l'heure du déjeuner pour les formes à libération prolongée (d'une durée d'action de 8 heures). Mais les enfants mangent normalement le soir. L’idée d’une prescription sur 28 jours permet au médecin de vérifier chaque mois la pertinence de la prescription et du dosage."
De plus, le méthylphénidate a une autorisation de mise sur le marché depuis 1996 en France, ce qui offre 25 ans de recul sur la molécule, et bien plus aux États-Unis.
Une prise en charge qui divise
D'autre part, deux camps se sont longtemps affrontés dans le domaine du TDAH. D'un côté, les partisans d'une prise en charge médicamenteuse. De l'autre, les adeptes de la psychanalyse réfractaires aux médicaments, souhaitant comprendre les symptômes à travers un prisme relationnel et psychologique.
"Nous avons pris du retard en France", confirme le Pr Revol. "La psychanalyse a sa place, mais il ne faudrait pas penser que tous les enfants agités relèvent du TDAH. Sur dix enfants qui viennent me voir, il y en a trois ou quatre avec un TDAH ; les autres sont déprimés, anxieux, s'ennuient à l'école, ou sont mal élevés et sans limite. Le TDAH est un diagnostic d'exclusion de tout cela."
Un boom des prescriptions
Une équipe de chercheurs, dirigée par Sébastien Ponnou, vient de publier une étude sur la consommation française de méthylphénidate, dans la revue Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence. Elle portait sur 144 509 patients âgés de 0 à 17 ans, ayant reçu au moins une prescription de méthyphénidate entre 2010 et 2019.
Les résultats témoignent d'une augmentation de prescription de +116 % sur la période donnée, soit une prescription doublée en 10 ans.
D'après la Haute Autorité de santé, le nombre de patients traités en 2019 serait autour de 90 000, un chiffre à mettre en perspective avec le nombre d'enfants et d'adolescents souffrant de TDAH (entre 191 000 et 480 000).
Un boom à nuancer
Les auteurs de l'étude nuancent tout de même cette augmentation de prescription. En effet, la France a pris un certain retard dans la prise en charge du TDAH. Même avec ce boom conséquent, la prescription française reste dix fois moindre qu'aux Etats-Unis et trois fois moindre qu'en Allemagne.
"C'est un médicament qui n'est pas assez donné en France", renchérit le Pr Revol. "L'augmentation n'est pas liée à une inflation du TDAH, mais à une meilleure reconnaissance du trouble", estime le Pr Revol.
Pour ce spécialiste, les recommandations sont claires : il faut toujours commencer par une autre stratégie que ce médicament.
"Donner de la Ritaline® immédiatement sans se poser de question et sans faire de bilan complémentaire, c'est une faute", conclut le Pr Revol. "Mais à l'inverse ne pas donner la Ritaline® à un enfant pour qui on a la certitude du TDAH, qu'on laisse l'enfant se mettre en danger physiquement, socialement, scolairement, c'est aussi une faute..."